samedi 5 juin 2004


"Tous les auteurs engagés veulent vous violer, c'est-à-dire vous convaincre, vous recruter.

Lorsqu'un tel me montre, au théâtre, des policiers qui tirent sur des ouvriers exploités, il le fait pour que je devienne, magiquement, l'ouvrier, pour que je participe à sa douleur, pour que je me range à ses côtés, pour que je m'identifie à lui.

Il n'y a pas si longtemps, on montrait au théâtre comment les juifs corrompaient la civilisation par leurs idées subversives, démoralisantes, par l'argent, etc., etc., on voulait que le spectateur s'identifiât au personnage nazi, tueur des juifs.

Lorsque, maintenant, parce que c'est facile, parce que personne ne s'y oppose, parce que ce n'était pas permis d'être contre les fascistes autrefois et que maintenant c'est permis et recommandé, lorsque que je vois, au théâtre, comment les nazis massacraient les enfnats, les femmes, les vieillards juifs, je me révolte, évidemment je veux punir, je suis le juif.

(On ne nous montre pas, cela ne se fait pas, comment les Algériens crevaient les yeux des enfants français ; on ne nous montre pas au théâtre comment les Chinois massacrent les Tibétains, cela ne se fait pas non plus.)

Ainsi de suite ou, moins grave : on s'identifie à la femme du mari tyran lorsqu'on nous montre un mari tyran ; on s'identifie au mari, lorsqu'on nous montre comment la femme a tous els défauts.

Chaque auteur dit objectif, ou juste, plein de raison, réaliste, a un méchant à châtier, un bon à récompenser. C'est pour cela que toute oeuvre réaliste ou engagée n'est que mélodrame.

Mais si, au lieu de parler du méchant soudard allemand ou japonais ou russe ou français ou américain, ou du méchant bourgeois ou de la pétroleuse criminelle ou du hideux militariste ou du soldat traêtre et déserteur, etc., si, au lieu de tout cela, je déshabille l'homme de l'inhumanité de sa classe, de sa race, de sa condition bourgeoise ou autre ;

lorsque, derrière moi, je parle de ce qui est intimement moi, dans ma peur, dans mes désirs, dans mon angoisse, dans ma joie d'être ; ou lorsque je donne libre cours à l'imagination déchaînée, à la construction imaginative, je ne suis pas seulement moi, je ne suis pas seulement un partisan, je ne suis plus avec celui-ci contre celui-là, je ne suis plus celui-là contre celui-ci, je ne suis plus seulement moi mais je suis tous les autres dans ce qu'ils ont d'humain, je ne suis plus le méchant, je ne suis plus le bon, je ne suis plus bourgeois, je n'appartiens plus à telle classe, à telle race, à cette armée-ci ou à cette armée-là.

- Mais je suis bien l'homme dépouillé de tout ce qui est en lui mentalité partisane, séparation, déshumanisation, home aliéné par le choix ou le parti, et je ne hais plus les autres. C'est là le lieu de l'identification profonde, c'est là le moyen d'y parvenir."


Journal en miettes

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.