mercredi 13 juillet 2005

L'insoutenable légèreté de l'être


"Ceux qui pensent que les régimes communistes d'Europe centrale sont exclusivement la création de criminels laissent dans l'ombre une vérité fondamentale : les régimes criminels n'ont pas été façonnés par des criminels, mais par des enthousiastes convaincus d'avoir découvert l'unique voie du paradis. Et ils défendaient vaillamment cette voie, exécutant pour cela beaucoup de monde. Plus tard, il devint clair comme le jour que le paradis n'existait pas et que les enthousiastes étaient donc des assassins.

Alors, chacun s'en prit aux communistes : Vous êtes responsables des malheurs du pays (il est appauvri et ruiné), de la perte de son indépendance (il est tombé sous l'emprise des Russes), des assassinats judiciaires !

Ceux qui étaient accusés répondaient : On ne savait pas ! On a été trompés ! On croyait ! Au fond du coeur, on est innocent !

Le débat se ramenait donc à cette question : Etaot-il vrai qu'ils ne savaient pas ? Ou faisaient-ils seulement semblant de n'avoir rien su ?

Tomas suivait ce débat (comme dix millions de Tchèques) et se disaient qu'il y avait certainement parmi les communistes des gens qui n'étaient quand même pas aussi totalement ignorants (ils devaient quand même avoir entendu parler des horreurs qui s'étaient produites et n'avaient pas cessé de se produire dans la Russie post-révolutionnaire). Mais il était probable que la plupart d'entre eux n'étaient vraiment au courant de rien.

Et il se disait que la question fondamentale n'était pas : savaient-ils ou ne savaient-ils pas ? Mais : est-on innocent parce qu'on ne sait pas ? un imbécile assis sur le trône est-il déchargé de toute responsabilité du seul fait que c'est un imbécile ?

Admettons que le procureur tchèque qui réclamait au début des années cinquante la peine de mort pour un innocent ait été trompé par la police secrète russe et par le gouvernement de son pays. Mais maintenant que l'on sait que les accusations étaient absurdes et les suppliciés innocents, comment se peut-il que le même procureur défende la pureté de son âme et se frappe la poitrine : ma conscience est sans tache, je ne savais pas, je croyais ! N'est-ce pas précisément dans son "je ne savais pas ! je croyais !" que réside sa faute irréparable ?

Alors, Tomas se rappela l'histoire d'Oedipe : Oeudipe ne savait pas qu'il couchait avec sa propre mère et, pourtant, quand il eut compris ce qui s'était passé, il ne se sentit pas innocent. Il ne put supporter le spectacle du malheur qu'il avait causé par son ignorance, il se creva les yeux et, aveugle, il partit de Thèbes."


"Tomas comprit une chose étrange.
Tout le monde lui souriait, tout le monde souhaitait qu'il rédigeât sa rétractation, en se rétractant il aurait fait plaisir à tout le monde ! Les uns se réjouissaient parce que l'inflation de lâcheté banalisait leur propre conduite et leur rendait l'honneur perdu. Les autres s'étaient accoutumés à voir dans leur honneur un privilège particulier auquel ils ne voulaient point renoncer. Aussi nourrissaient-ils envers les lâches un amour secret ; sans eux leur courage n'aurait été qu'un effort banal inutile que personne n'eût admiré."

"Il est tragi-comique que ce soit précisément notre bonne éducation qui soit devenue l'alliée de la police. Nous ne savons pas mentir. L'impératif "Dis la vérité !", que nous ont inculqué papa et maman, fait que nous avons automatiquement honte de mentir, même devant le flic qui nous interroge. Il nous est plus facile de nous disputer avec lui, de l'insulter (ce qui n'a aucun sens) que de lui mentir carrément (ce qui est la seule chose à faire)."

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.