lundi 26 septembre 2005

Anna Akhmatova


et dans ces poèmes, des vers qui se suffisent, comme des éclats à isoler, très haïkus :

"une fête dorée,
un réconfort."

(1909)

"Tu respires le soleil, je respire la lune.
Mais nous ne vivons que d'amour."

(1913)

"Silence dans la grande pièce,
Derrière la fenêtre, il gèle.

1914)

Mais il y a aussi ces scénettes , qui me font penser à quelque nouvelle de Nabokov :

"Tu tiens une pipe noire; étrange
Cette fumée, au-dessus de nous...
Moi, je porte une jupe étroite
Pour paraître encore plus mince."

"Les fenêtres, pour toujours condamnées :
à cause de la gelée, ou de l'orage ?
Tes yeux sont pareils aux yeux
D'un chat prudent."
(1913)

Et ce poème entier que j'aime beaucoup, parce qu'il m'amuse :

"Il aimait trois choses dans la vie :
Les chants pour les vêpres, les paons bleus
Et les vieilles cartes d'Amérique.
Il n'aimait pas les pleurs des enfants,
Il n'aimait pas le thé aux framboisess
Ni l'hystérie des femmes.
Et j'étais sa femme."

9 novembre 1910, Kiev.

in Requiem et autres poèmes

mercredi 21 septembre 2005

Des Souris et des hommes


Beau morceau, petit joyau tragique et pur, sobre, impeccable. La recette de cette sobriété tient sans doute de ce que la tragédie n'est pas annoncée dans les gestes et paroles des personnages (qui eux espèrent toujours que ça va bien se passer) que dans le souffle du vent dans les sycomores, qui annoncent la tragédie. Steinbeck, c'est comme le Kim Van Kieu, les personnages jouent leur partie, plutôt optimistes, et le vent dans les arbres nous avertit que l'orage arrive. Dans le Kim Van Kieu comme chez Steinbeck, le vent dans les arbres, c'est le choryphée, mais le choryphée qui aurait une longueur d'avance sur l'action, c'est Cassandre en fait.

mardi 20 septembre 2005

On s'en fout

Oprah Winfrey ne boycotte plus Hermès.

Démocratie

On était en mars et c'était pourtant l'hiver encore, un des plus froids que j'ai connu. Dans ce trou du cul du monde à la frontière iranienne. Dans la ville, des congères d'un mètre de neige, et l'hôtel sans chauffage, avec un lavabo minuscule dans la chambre, et son filet d'eau glacé, qui allait nous dissuader de nous laver. Ce qui fait qu'entre garde à vue à l'hôtel, arrestation, expulsion, pendant 4 jours, on promènerait nos cheveux gras et nos fringues froissées et sales, de vrais clodos.

Dans leur bureau, aussi glacé qu'à l'extérieur, plus encore, un seul poêle avec une chaleur quasi-inexistante. Je garde mon anorak et fourre mes mains dans mes poches en frissonnant. Autour, les militants, pas mal d'anciens combattants, ça se voit tout de suite, en blouson et chaussures de montagne, décontractés. On boit du thé bouillant, morceau de sucre dur entre les dents (bonjour les carries dentaires, ai-je pensé).

C'est alors qu'il est entré dans le bureau.

Splendide.

Par moins dix (température ressentie en tous cas), costume sombre, chemise claire, cravate élégante. Rien d'autre, pas même une gabardine.

J'ai beau le détailler je ne vois pas le moindre défaut, pas le plus petit laisser-aller. Ses cheveux noirs, épais, avec des fils blancs sont impeccablement coupés, sa moustache toute aussi soignée. Une gravure de mode.

Le maire de cette ville, dans son bureau politique.

Qui va être arrêté cette nuit. Il le sait, il nous le dit. D'ailleurs ils vont tous être arrêtés, ils le savent.(Et nous consignés à l'hôtel et expulsés mais ça on le sait pas, et d'ailleurs ça n'a aucune importance).

Et donc ce splendide député-maire sera arrêté ce soir et va passer la nuit (et plusieurs peut-être) au poste, entre les mains de la douce police et peut-être des forces spéciales qui, cagoulées, patrouillent la ville et l'extérieur. Et lui, parce qu'il est MAIRE, ELU DEMOCRATIQUEMENT, au lieu de s'habiller en chaud, met son beau costume de député en attendant que les brutes qui eux, se torchent avec la démocratie, viennent l'embarquer et le foutre dans une cellule aussi froide (et même plus) que son bureau, le foutre à poil aussi sans doute, le tabasser peut-être, en riant bien "t'as l'air malin hein monsieur le maire avec ta démocratie dans l'anus ?"

N'empêche, classe jusqu'au bout des ongles, les yeux noirs, pétillants, avec cette malice spéciale un peu fataliste mais jamais dure des gens bien qui en bavent, il nous offre ses marlboro, boit le thé, sans grelotter dans ses vêtements alors que moi j'ose à peine sortir une pogne de mes manches.

Parce que ce que l'on va l'arrêter cette nuit, c'est la démocratie, monsieur, pas un combattant, pas un révolutionnaire qui pourrait brailler sa haine du système toute la nuit , mais un MAIRE ELU.

Dans les campagnes électorales, déchiquetés à la grenade par les Sections spéciales le soir d'un meeting, ou bien avec 14 balles dans le corps quand on vient sonner à leur porte, ou bien torturés en garde à vue, n'empêche, ils seront plusieurs comme ça : costume-cravate, programme électoral en main, affiche, fonction en bandoulière et respectabilité affichée et outrée qui attire les coups sur la gueule : je suis député, maire, président de parti, président de syndicats, je suis ELU.

J'apprécie les bons combattants mais je ne les admire pas. j'aime profondément les gens des réseaux, les résistants et leurs rendez-vous la trouille au ventre. Mais ceux que j'admire vraiment, ce sont les civils qui assument leur fonction de civilité. Parce qu'ils ne peuvent même pas se défendre. Cible vivante, ils sont le porte-drapeau des batailles, tout le monde peut leur tirer dessus, ils n'ont pas le droit de répondre, ils sont les règles, la loi, la démocratie.

Zarathoustra vs Fritsch et cie

Dans l'article de Bataille "Nietzsche et les fascistes", Georges Bataille a beau jeu de lacérer cet amalgame pénible Nietzsche/antisémitisme. Il philosophe à coups de marteau en faisant gueuler en lettres capitales quelques vérités sorties de la plume de Nietzsche lui-même. Ainsi :

NE FREQUENTER PERSONNE QUI SOIT IMPLIQUE DANS CETTE FUMISTERIE EFFRONTEE DES RACES !

(Vlan dans les surhommes pâlichons aux fantasmes celto-germaniques qui font hin hin devant les colosses noirs :"c'est pourtant nous la race supérieure, les brutes blondes, Nietzsche 'l'a dit").

Mais ce cri du coeur est plus remuant, emplit d'émotion pour peu que l'on aime Zarathoustra :

MAIS ENFIN, QUE CROYEZ-VOUS QUE J'EPROUVE LORSQUE LE NOM DE ZARATHOUSTRA SORT DE LA BOUCHE DES ANTISEMITES !

De fait, Zarathoustra, le prophète de midi, le danseur d'or dans l'azur du vide, Zarathoustra antisémite, ça me fait rire, tellement c'est con. Mais lui, non, ça ne le fait pas rire.

dimanche 18 septembre 2005

Le Voyage de Chihiro

Le genre de film dans lequel je me sens si bien qu'il me semblait être rentrée chez moi. Tombée sous le charme du bel Haku. Donc je rectifie : je n'aime pas les hommes beaux, sauf les garçons splendides et courageux aux yeux verts.

samedi 17 septembre 2005

Les jaunisses que déclenchent le succès de Houellebecq sont assez marrantes. On se plaignait que les gosses ne lisaient et on hurle sur le "marketing Harry Potter". Idem pour Houellebecq, les Français lisent peu et dès qu'ils achètent, rien ne va plus, c'était pas le bon livre (le livre qui a du succès n'est jamais le bon, par définition). Moi ça me fait toujours plaisir quand un écrivain cartonne, quand on en parle autant qu'un film, qu'un CD, enfin tous ces autres "produits de consommation". Je dois avoir l'esprit corporatiste, ce qui est peut-être pire qu'élitiste.

vendredi 16 septembre 2005

Portrait chinois

Si j'étais un vers unique :

"Oh, que ma quille éclate ! Oh, que j'aille à la mer !"

Je ne sais pas si c'est mon préféré. Mais c'est celui qui me secoue le crâne le plus souvent.

mardi 6 septembre 2005

Eclat de rire


"La mine qu'il faisait rappela à Burt Clayton le jour où son oncle adoptif, militant acharné de la suprématie de la race aryenne, avait été informé après une greffe du foie réussie que son donneur d'organe était juif."

lundi 5 septembre 2005

Les torche-collines


"Wilbur avait essayé de l'avertir que le vieux bonhomme était un nain des sous-sols déjantés de l'apocalypse, doté d'un complexe de Napoléon comme on en avait rarement vu."

"Nous étions des bêtes puantes et devions être traitées comme tels. Kunstler nous le répétait soir après soir. Nous l'entendions dans les bars, de la part des rats d'usine, des types du porc-frites, et nous n'étions pas les derniers à nous le répéter. C'était devenu proverbial, et l'acceptation de cette vérité s'était accompagnée de ce sentiment de libération, de délivrance, d'extase même, que connaît celui qui s'est fait baiser au-delà de tout espoir."

Le seigneur des porcheries

samedi 3 septembre 2005

princesse Mononoké


J'ai été scotchée par la beauté picturale de ce film. Des couleurs incroyablements variées, suaves, fines. Un dessin magnifique. Chaque dessin pourrait faire un poster. Le plaisir de l'oeil était tel que parfois j'en oubliais l'histoire, ou je voulais arrêter la vidéo, rien que pour contempler encore un peu une scène parcticulièrement superbe.

jeudi 1 septembre 2005

Crampée


A force de me marrer dessus, dans le train, au café, je vais le faire remarquer, ce bouquin :

"John était en route avant l'aube et de retour au crépuscule sans rien d'autre dans l'intervalle qu'une implacable litanie d'égorgements qui aurait réduit aux larmes la plupart des bandits de grand chemin de Pottville."


"Un vieux bandit est aussi différent d'un rustaud qu'un rustaud est différent d'une racaille blanche. Bien que tous puissent sembler ne faire qu'un pour certains, être les trois visages de la monade pour d'autres, et écartelés quelque part entre deux extrêmes indistinctement horribles - les rats de rivière et les trolls - aux yeux de ceux qui sont totalement incapables de distinguer leur sirop d'orgeat d'un mint-julep (foutus yankees !), quiconque est de la région reconnaîtra sans discuter que les vieux bandits seront toujours les moins dangereux du lot. Ils ne sont généralement pas là pour chercher des crosses - ils veulent seulement se défouler un peu - et un sympathisant des brigades d'intervention d'Act-Up, de l'association spirituelle arboriphile de Bad Kleinkircheim ou des amis et partisans du révérend Jesse jackson pourrait encore passer au travers des deux ou trois heures suivantes sans trop de problèmes. Répétons-le, si la soirée devait se terminer sur cette note, le Whistlin' Dick ne se distinguerait guère de n'importe quel rade ouvrier du pays. Mais c'est Pullman Valley, et la phase numéro deux survit rarement au passage de minuit.

Alors, on commence à avoir un aperçu de frisson qui dut serrer le coeur et l'âme des Shawnees il y a deux siècles, quand cette première cargaison de bons à rien venus d'Europe déboula dans la vallée par le défilé de la rivière."

En fait, cette ville de dégénérés est tellement à hurler de rire, qu'elle en devient sympathique.

"La dernière arrestation fut celle d'un ouvrier de l'usine d'armement qui, faisant un saut chez lui au milieu d'une interminable tournée des bars, avait trouvé maison vide et aussitôt soupçonné quelque diablerie levantine entre son épouse de vingt et un ans et un commerçant voisin. Il s'était alors précipité à la boutique dudit commerçant et avait fait voler en éclats deux vitrines de belle taille à poings nus. Lorsqu'il avait été arrêté et mis sous sédatifs, il n'avait rien trouvé à dire pour sa défense. Il fut emmené aux urgences. Sa femme, qui, soit dit en passant, avait filé cinq minutes plus tôt au marché acheter de la viande pour le déjeuner et s'en était retournée pour trouver une cuisine sens dessus dessous et la porte d'entrée arrachée à ses gonds, déclara que "Stanley est un peu nerveux de temps à autre, surtout avec la lune."


Et puis à d'autres moments, comme des perles dans le purin, des passages de pure merveille.


"Parfois il restait des heures entières dans le cimetière. Il s'endormit une fois et se réveilla au milieu d'une tempête, couvert de limaces. Il se rappellerait plus tard cette soirée comme l'une des plus belles de sa vie. Quelque chose dans le défilement des nuages juste au-dessus de sa tête, dans le vent qui escaladait la colline par le sud pour les rejoindre, et lui, là au milieu, qui secouait son jean trempé pour faire tomber les gastéropodes."


Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.