mercredi 19 juillet 2006

A la guerre, on pense à la mer





Avec la chaleur, je relis toujours des tragédies grecques. ça va bien à la chaleur, la tragédie. Comme In the Heat of the Night, on n'imagine pas que ç'eut pu être In the Coldness of the Night. Bref.

Les Sept contre Thèbes est une de mes préférées. Plus que Les Perses encore. Dans cette dernière, c'est plutôt la souffrance et l'horreur de la guerre, dont on parle. Mais il s'agit là alors de contemporains, de Grecs et de Perses civilisés. Dans Les Sept contre Thèbes, il montre l'avers, toute la beauté de la guerre, sa fureur sacrée, ce déchaînement horrible et enthousiasmant, d'autant plus librement que les héros sont bien loin dans le temps, des ancêtres glorieux et sanglants. Quiconque descend d'une brute, au bout de quelques générations, ne dira plus que de son grand-père fratricide, parricide et incestueux : "Quel gaillard !"

Le récit dans Les Sept est superbe, une langue d'images, de couleur et de fureur, on entend le métal choquer, l'Âge du fer mérite bien son nom.

"Sept capitaines fougueux ont égorgé un taureau sur un bouclier noir et, trempant leur main dans le sang de la victime, ils ont juré par Arès, Enyô et la Déroute, amie du carnage, ou de saccager et de détruire de fond en comble la ville des Cadméens, ou de périr en arrosant cette terre de leur sang.

Puis ils ont suspendu de leurs mains au char d'Adraste des souvenirs qu'ils envoient dans leurs foyers à leurs parents, en versant des larmes, mais sans laisser échapper aucune plainte de leur bouche. Leur coeur de fer, bouillant de courage, ne respirait que la guerre, comme des lions aux yeux plein d'Arès. Et l'effet de leurs serments ne se fait pas attendre. Je les ai laissés, tandis qu'ils tiraient au sort à quelle porte chacun d'eux conduirait sa phalange. En conséquence, choisis les meilleurs chefs qui soient dans la ville et hâte-toi de les poster aux issues des portes ; car les soldats d'Argos, armés de pied en cap, s'approchent à cette heure de nos murs ; la poussière s'élève, et la plaine est souillée par la blanche écume qui dégoutte des poumons d eleurs chevaux. C'est à toi, comme un habile pilote, de fortifier la ville, avant que le souffle d'Arès se déchaîne ; car on entend mugir la vague terrestre des assaillants."

Eschyle évoque souvent la mer dans l'océan des batailles. Il y a bien sûr la célèbres images des Perses battus à coups de rames "comme des thons ou des poissons pris au filet". Plus loin dans les Sept il parle de "nautoniers ardents au crime", "engeance odieuse aux dieux."

"LE CHOEUR : Je crie ma peur et mes vives douleurs. L'armée est lâchée; un flot immense de cavaliers a quitté le camp et le voici qui roule et court en avant. C'est ce que m'atteste la poussière que je vois monter dans les airs, messager sans voix, mais sincère et vrai.

Les plaines de mon pays sont remplis du bruit des sabots qui s'approche, vole et gronde comme un torrent invincible qui bat le flanc des monts.

Las ! las ! dieux et déesses, écartez le malheur qui fond sur nous. Les cris passent par dessus les murs. Le peuple aux boucliers blancs, prêt au combat, s'élance à pas pressés contre la ville."

(trad. Emile Chambry).

J'ai toujours réagi vivement aux Grecs. Comme une mèche imbibée d'huile, dès l'enfance, je m'embrasais à leur évocation. Comme si j'avais été thébaine ou athénienne dans une autre vie. Et pourtant au Louvre, quand j'ai dû choisir une spécialité, j'ai tourné le dos à la Grèce, tant c'était déjà trop moi, et que j'étais déjà assez occidentale comme ça, ça me dessécherait. Qu'il fallait que je récupère ma part d'orient. Mais voilà, que choisir entre Sumer, Accad, Babylone, les Perses ? Pour finir en prenant l'Islam j'ai vraiment tout réconcilié, la part grecque et la part iranienne. Car si les Iraniens sont fils des Mèdes et des Perses autant que moi des Grecs (et il me plait de songer qu'il y a des millénaires, nous nous affrontions en chars et en navires), ils ont aussi tout recueilli, comme mon cher Yahyâ, fils de Darius et de Chosroès, qui sentait couler dans ses veines tout l'Avesta par héritage naturel, et avec son turban et ses savates de muletier dansait le semâ après avoir lu, expliqué et corrigé Aristote, Saint Jean, Avicenne, (et même le Buddha au passage).

mardi 4 juillet 2006

Oh ! Sémiramis !


"J'avais été, avant la séance, voir les peintures de Courbet. J'ai été étonnée de la vigueur et de la saillie de son principal tableau; mais quel tableau ! quel sujet ! La vulgarité des formes ne ferait rien; c'est la vulgarité et l'inutilité de la pensée qui sont abominables; et même, au milieu de tout cela, si cette idée, telle quelle, était claire ! Que veulent ces deux figures ? Une grosse bourgeoise, vue par le dos et toute nue sauf un lambeau de torchon négligeamment peint qui couvre le bas des fesses, sort d'une petite nappe d'eau qui ne semble pas assez profonde seulement pour un bain de pied. Elle fait un geste qui n'exprime rien, et une autre femme, que l'on suppose sa servante, est assise par terre occupée à se déchausser. On voit là des bas que l'on vient de tirer : l'un d'eux, je crois, ne l'est qu'à moitié. Il y a entre ces figures un échange de pensées qu'on ne peut comprendre. Le paysage est d'une vigueur extraordinaire, mais Courbet n'a fait autre chose que mettre en grand une étude que l'on voit là près de sa toile; il en résulte que les figures y ont été mises ensuite et sans lien avec ce qui les entoure (...)
O Rossini ! O Mozart ! O les génies inspirés dans tous les arts, qui tirent des choses seulement ce qu'il faut en montrer à l'esprit ! Que diriez-vous devant ces tableaux ? Oh ! Sémiramis ! Oh ! entrée des prêtres, pour couronner Ninias !"
Vendredi 15 avril 1853. Journal de Delacroix.

samedi 1 juillet 2006

On s'en fout

Ségolène n'épousera pas François cet été.

Widerstehe doch der Suende


L'air de la Cantate BWV 54 : si l'on écoute que la musique, on entend une effusion tendre, une retenue souriante, un abandon confiant. Et pourtant les paroles sont : "Résiste donc au péché", rien à voir, avec l'Homme armé dans le ton, même si le message est le même... Parfois je me demande si le Cantor n'était pas un peu piétiste sur les bords...




Comparant les interprétations de Deller et d'Andrea Scholl, je sais pourquoi celles du premier sont si bouleversantes : c'est qu'il chante vraiment religieusement, en y croyant, au moins le temps de son interprétation. Quand il chante l'agnus dei, c'est lui ce souffle qui va s'arrêter dans quelques heures, quand le ciel va gémir et tonner. Andrea Scholl, par exemple dans le stabat mater de Vivaldi, a toujours sa belle voix, velouté, aisance gracieuse, mais je n'y entends pas cette émotion au premier degré, qui me fait penser aussi à Gustav Leonhardt quand il joue les Sonates de Kuhnau, et qu'avant chacune d'elle, il récite les introductions : "Der Streit zwischen David und Goliath", lance-t-il solennellement. Et de continuer avec la même intonation, simple, fraîche, d'une gravité presque enfantine, naïve en tous cas. Car il ne s'agit pas d'être intelligent ou au-dessus de ça, il s'agit de croire à ce moment là que "Das in der Schrift abgemahlte Portrait des grossen Goliath ist was seltzames..." Et puis il s'assoit et commence à jouer, comme le faisaient les maîtres de chapelle, comme un simple office dominical, mais de toute sa conviction.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.