vendredi 29 juin 2007

SPA ismaélienne

(Musée Benaki) Photo Giovanni Ricci


"Cependant une autre participation à l'Ame est encore accordée aux animaux, participation plus éminente que les précédentes. C'est leur ardent désir de persister dans l'être (baqâ'), leur fuite devant la menace d'aéantissement (fanâ'), car il n'est aucun animal qui n'ait en propre l'effroi de sa propre mort et ne lutte pour sa propre vie. C'est pourquoi l'on ne doit jamais faire périr un animal sans qu'il y ait raison d'utilité. Comprends."

Abû Ya'qûb Sejestanî, Le Dévoilement des choses cachées. Recherches de philosophie ismaélienne : De la Deuxième Création, quatrième recherche : Pour reconnaître la participation des animaux à l'âme.

Des âmes autant que du limon


"Il fondait son plan gigantesque sur le crédit qu'il faisait à la bassesse des hommes. Mais ceux-ci sont des âmes autant que du limon. Agir comme si les autres n'auraient jamais de courage, c'était trop s'aventurer."

Mémoires de guerre : Tome 3, Le salut 1944-1946, Charles de Gaulles.

jeudi 28 juin 2007

Tout lieu est prison pour celui qui l'occupe


"Tout lieu est comme une prison pour celui qui l'occupe. Il n'existe pas une seule chose qui puisse se séparer de son lieu propre ; chacune est à demeure dans son lieu, comme dans une chose dont elle ne se séparerait jamais."

Abu Ya'qub Sejestanî, Le Dévoilement des choses cachées. Recherches de philosophie ismaélienne: Quatrième recherche : "Que le lieu est exclu du Créateur" ; trad. Henry Corbin.

Le talent est un titre de responsabilité

J'avais souvent entendu vanter la langue des Mémoires de De Gaulle, ce français magnifique etc, presque un modèle. Or à la lecture, pas du tout : c'est une langue laborieuse et technique, l'intérêt des livres ce sont les faits racontés, pas ce verbe très concret, terre à terre, froidement narratif, avec parfois des envolées lyriques, grandiloquantes mais très lourdingues. Simplement, le récit est passionnant en lui-même.

Sur l'épuration à la Libération, qu'il est de bon ton de présenter aujourd'hui comme sanglante, ayant ratissé large, les chiffres qu'il donne sont curieusement modérés : Sur 2071 condamnations à morts prononcées, 1303 grâces et 768 recours rejetés. Les 39 000 peines de prison semblent peu comparées aux 50 000 et 55 000 emprisonnements prononcés en Belgique et en Hollande. Il est indiqué aussi que "les juges rendirent 18 000 non-lieux." "Compte tenu de la masse des faits de collaboration, des flots d'atrocités commises à l'encontre des résistants, et si l'on évoque le torrent des colères qui se répandit en tous sens dès que l'ennemi tourna les talons, on peut dire que l'épuration par la voie des tribunaux comporta autant d'indulgence que possible."

Les fonctionnaires bénéficient de sa grande indulgence, s'étant, selon lui, dans leur "immense majorité", "honorablement comportés". Il indique que sur "un effectif de plus de 800 000, les enquêtes ne constituèrent qu'environ 20 000 dossiers, au vu desquels furent prononcées 14 000 sanctions, dont à peine 5 000 révocations."

Autre corps de métier à bénéficier de son indulgence, ce sont les militaires. Même quand ils sont condamnés, il a toujours pour eux une bonne parole, un mot d'excuse. Ainsi Esteva : "Au terme d'une carrière qui, jusqu'à ces événements, avait été exemplaire, ce vieux marin, égaré par une fausse discipline, s'était trouvé complice, puis victime, d'une néfaste entreprise." De même Dentz : "Le général Dentz fut condamné à la peine de mort. Mais, tenant compte des loyaux et beaux services qu'il avait rendus en d'autres temps et compatissant à ce drame du soldat eprdu, je le graciai aussitôt." Quant à Pétain, que De Gaulle ne souhaitait ni arrêter ni juger, en espérant qu'il mourrait avant d'être pris ou en exil -"Au général de Lattre, qui me demandait quelle conduite il devrait tenir s'il advenait que ses troupes, approchant de Sigmaringen, trouvassent là ou ailleurs Pétain et ses anciens ministres, j'avais répondu que tous devraient être arrêtés, mais que, pour ce qui était du Maréchal lui-même, je ne désirais pas qu'on eût à le rencontrer " c'est de lui-même qu'il se rend en France pour être jugé, ce qui lui vaut ce commentaire : "Les dés étaient jetés. Le vieux Maréchal ne pouvait douter qu'il allait être condamné. Mais il entendait comparaître en personne devant la justice française et subir la peine, quelle qu'elle fût, qui lui serait infligée. Cette décision était courageuse."

Et finalement, les seuls qui encourent sa sévérité sont les écrivains. A eux, il pardonne beaucoup moins, ce qui est une preuve de la supériorité des littérateurs sur les militaires. Aux uns, on les excuse de n'avoir su qu'obéir, comme un fait consubstantiel à l'uniforme, alors que les gens de plume, on n'attend d'eux que l'entière liberté et responsabilité de leurs actes. Et c'est ainsi qu'il s'exprime sur la mort de Brasillach, sans le nommer : "Les écrivains, en particulier, du fait de leur vocation de connaître et d'exprimer l'homme, s'étaient trouvés au premier chef sollicités par cette guerre où se heurtaient doctrines et passions. Il faut dire que la plupart et, souvent, les plus grands d'entre eux avaient pris le parti de la France, parfois d'une manière magnifique. Mais d'autres s'étaient, hélas ! rangés dans le camp opposé avec toute la puissance de leurs idées et de leur style. Contre ceux-ci déferlaient, à présent, une vague d'indignation. D'autant plus qu'on voyait trop bien vers quels crimes et vers quels châtiments leurs éloquentes excitations avaient poussé de pauvres crédules. Les cours de justice condamnèrent à mort plusieurs écrivains notoires. S'ils n'avaient pas servi directement et passionnément l'ennemi, je commuais leur peine, par principe. Dans un cas contraire - le seul- je ne me sentis pas le droit de gracier. Car, dans les lettres, le talent est un titre de responsabilité."


Mémoires de guerre : Tome 3, Le salut 1944-1946

lundi 25 juin 2007

Freemen


Vu de dos, dans le train, un petit gros portant un blouson de toile blanche, marqué au dos FBI, avec un revolver imprimé au-desssus de la fesse gauche. Je ne sais pourquoi, cela m'a fait penser à la panoplie des freemen dans L'Empereur Dieu de Dune, avec le couteau en plastique.

mardi 19 juin 2007

Du Pré

Pour le Concerto pour violoncelle en la mineur de Schumann, j'avais hésité entre Rostropovitch et elle et je n'ai pas regretté mon choix. Bien sûr Rostropovitch est romantique, agité, volcanesque, mais Du Pré ce n'est plus un archet, c'est un sabre de samourai, un jet de laser. Fougue et précision, tenue et tension, du 100 000 volts qui ne dérape jamais, une concentration passionnée : le Concerto en si mineur op. 104 de Dvorak.



mardi 5 juin 2007

On s'en fout

Lady Di est morte.

Le Jasmin des Fidèles d'Amour


Rûzbehân de Chiraz : pour le moment, un des gnostiques que j'aime le moins. Son côté pleurnichard exhibitionniste peut-être, mais surtout cette touche insincère dans sa volonté moralisatrice, au sens il se ment à lui-même ou, en tout cas, n'est peut-être pas à 100% honnête dans les méandres verbeux de son traité, qui vise simplement, au fond, à démontrer que lui n'est pas en faute quand il tombe amoureux d'une cantatrice, parce que lui, c'est de la bonne façon (c'est-à-dire rien de charnel), alors que les autres ne sont que des débauchés uniquement préoccupés des corps. On connaît la chanson, mais en quoi les désirs charnels des "libertins" ont-ils une jouissance moins "pure" que celle provoquée par la vision de la forme ? D'autant qu'il avoue tout bonnement que l'Amour ne peut durer que tant que dure la Beauté, et que si Beauté s'en va, Amour se fait la malle aussi, à la recherche d'autres idoles juvéniles et agréables à regarder. Rien à envier à un pédéraste assumé et moqueur comme Abû Nuwas, en somme... C'est pour cela que la traduction "Fidèle d'amour" est assez impropre, quand l'on pense à Tristan et Iseult se réveillant en forêt après trois ans de vie érémitique, une fois l'effet du philtre passé, se découvrant amaigris, brûlés par le soleil et les privations, et passant soudain à l'amour humain et non plus magique, ou bien Rama et Sita dans le même cas. Ce qui émeut Rûzbehân n'est pas l'amour mais une jouissance visuelle, tout comme l'audition d'un semâ provoque l'extase. L'âme de la cantatrice il s'en fout au fond, il n'en a qu'après son visage, point barre. Et son refus des "bas désirs" repose tout simplement, comme il le dit, sur la crainte de l'enfer et la perte de l'autre monde, celui de ses transports extatiques. Or la peur de la damnation n'est pas vertu, mais peur tout court. Par ailleurs, si l'une des étapes des Fidèles d'amour est le vasselage de l'Amant à l'Aimé, il y a aussi contradiction : soit l'on abdique toute volonté, soit l'on reste fidèle, non pas à l'Amour, mais à sa voie spirituelle. Si la belle du Turkestan, au lieu de lui faire de pieuses remontrances, avait exigé de lui, comme la chrétienne de Sheikh Sen'an (conte édifiant relaté par Farid od-Dîn 'Attar et le kurde Feqî Teyran) qu'il boive du vin, mange du porc et jette son froc de soufi aux orties, qu'aurait-il fait ?

C'est peut-être pour cela que sa prose fait un peu pédalage dans la confiture de roses mystique. Un pépiement très sucré (shekirxwar comme on dit en persan, mais point trop n'en faut), un enfilage étourdissant d'images poétiques à la limite de la mièvrerie, tout ça, au fond, pour tourner autour du pot (c'est-à-dire le con de la belle cantatrice), mais tout en se gardant de s'y perdre tout de bon. Il y a chez lui un côté Ubertin de Casale, dans Le Nom de la Rose, perdu en miaulements amoureux devant la statue aguichante de la Vierge, mais ne manquant pas de flairer et de dénoncer la concupiscence et les mauvais penchants chez tous les autres, en voyant le diable femelle sous toutes les robes des moines à jolie figure.

Si bien qu'à y réfléchir, son geste de "courage public", raconté par Ibn Arabî, quand il dénonce à une assemblée de soufis son amour coupable et jette sa khirqa, est-il totalement désintéressé et sincère ? N'est-ce pas plutôt, quand souvent quand on bat sa coulpe en public, un moyen de se faire absoudre, voire conforté dans ses penchants ? "Dites-moi que j'ai raison, et en plus je le prouve par un traité qui va, comme c'est heureux, me donner l'agrément divin en tout ce que je suis capable de m'autoriser (mais non au-delà)."

D'où une certaine pointe d'embarras que je sens (à tort peut-être) quand il aborde le cas des ascètes qui n'ont pas besoin de Témoin de Beauté pour gagner le monde de l'extase. Eux c'est eux et nous c'est nous, dit-il simplement. Certes, mais eux du moins, enfin les vrais ascètes débarrassés de leurs appétits charnels, non par culpabilité mais parce qu'ils trouvent plus jouissif ailleurs, ne dénigrent pas ce à quoi ils ont renoncé, renvoyant dos à dos ceux qui nient le plaisir de l'extase et ceux qui nient le plaisir sexuel : "Celui qui est incapable de goûter aucune jouissance dans les illuminations des Lumières archangéliques, et qui, de plus, nie cette jouissance vraie, celui-là est pareil à l'impuissant lorsqu'il nie le plaisir du coït." (Sohrawardî)

Pour conclure, un clin d'oeil à Nietzsche quand il disait avec justesse : "La vertu ferait mieux de se reposer de temps en temps, elle serait plus fraîche le matin".

Ruzbehan, Le jasmin des fidèles d'amour, trad. Henry Corbin, éd. Verdier.

vendredi 1 juin 2007

La Genèse


"On refoule l'Enfant comme on respire."

"L'Enfant majuscule ou l'origine de la Genèse", in L'Ecorce et le noyau, Maria Torok.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.