samedi 6 octobre 2007

Dire du mal de Dieu, c'est lâche

Je lis La Vie et moi, de Marcel Lévy, qui m'ennuie la plupart du temps, comme un aimable bavardage très convenu, beaucoup trop de bon sens pour être intéressant. Une pensée avec une bonne tenue, comme un salon bourgeois et intelligent. Mais il y a un passage qui m'a fait sourire, quand il explique qu'il ne faut pas dire du mal de Dieu, parce que c'est lâche :

"Il y a quelques années, je causais avec un communiste qui m'apprenait non sans fierté qu'une chaire d'athéisme avait été instituée dans je ne sais quelle université. Il m'était un peu nouveau de voir l'athéisme élevé à la dignité d'une science, mais puisque la théologie fut pendant des siècles la science par excellence, pourquoi pas ? Je répondis à mon propagandiste que, sans vouloir porter atteinte à la majesté des sciences en général et à l'athéisme en particulier, j'estimais qu'il fallait largement autant de foi, peut-être plus, pour être athée que pour professer une religion quelconque. De toute façon, dire du mal de Dieu est à mon avis lâche et inélégant. Il ne peut pas ou ne veut pas se défendre. Si l'on veut absolument faire preuve de témérité, qu'on s'en prenne au Diable. Il a bec et ongles."




Et peu après suit un développement assez pertinent sur la bêtise, dont j'extrais le meilleur passage :

"La bêtise n'est pas la carence d'une faculté quelconque, c'est une qualité sui generis, indépendante, superbe, agissante, désireuse de s'affirmer au grand jour et d'exercer une influence. Si la bêtise était passive, comme onle croit trop souvent, elle essaierait de se dissimuler, elle se ferait petite et modeste, en un mot, elle ne serait pas si bête que ça. L'intelligence, c'est la faculté de comprendre, d'éclaircir ce qui est confus et obscur, de percevoir les distinctions subtiles et les analogies cachées. La bêtise n'est pas à ses antipodes, elle peut fort bien s'allier avec un degré d'intelligence honorable, avec la roublardise, par exemple ; elle n'en est alors que plus puissante et plus dangereuse. L'homme n'est pas bête parce qu'il ne comprend pas, mais parce qu'il comprend de travers. Celui qui ne comprend pas est honteux de son incapacité, il tentera peut-être de voiler son ignorance et il se taira pour ne pas la rendre trop manifeste. Mais celui qui a compris faux n'en est pas pour cela moins satisfait de lui-même, et pour peu que le doute ne l'étouffe pas, le voilà bientôt plus fier de son erreur que l'homme intelligent ne l'est de sa compréhension des choses. Car l'erreur a ceci d'attirant qu'elle nous est plus personnelle, qu'elle nous appartient plus en propre que la vérité, laquelle, universelle par nature, ne saurait faire l'objet d'une appropriation avantageuse.

Nous touchons ici du doigt le noeud de la question. L'homme bête, n'est pas tel par manque d'intelligence mais bien par égoïsme. Enveloppé dans sa propre personne comme dans une cquille, il rapporte tout à soi et jauge à sa seule mesure les personnes et les choses. Ceux qui lui ressemblent ne s'intéressent qu'à ce qui risque de se rapporter à eux : les faits et gestes de leurs voisins, de leurs camarades de travail, de leurs rivaux sur le terrain de jeu de leur existence immédiate. Leur conversation, quelque lustre qu'elle se donne à l'occasion, reste une forme de commérage. Cette incapacité de faire abstration de soi, de comprendre l'Autre, d'apprécier et d'aimer en autrui ce qui est différent, est précisément la marque de la Bête - et qu'on sait les dégâts qu'elle a faits ne serait-ce qu'en notre siècle. L'homme bête, surtout s'il est malin, et mieux encore s'il se donne les moyens de la force, désigne son nombril ou son idée fixe comme le centre du monde, et sa conviction ne manque jamais de susciter l'adhésion de ceux qui peuvent trouver leur compte à partager sa façon de voir. Persuadé que son esprit embrasse l'Univers, et que ce qu'il ne comprend pas ne vaut guère la peine d'être compris, il en vient vite à se convaincre que ses qualités sont les vertus humaines par excellence, tandis que celles qui lui font défaut ne sont pas loin d'être des tares - qu'il se chargera bien d'éradiquer chez autrui si on lui prête quelques armes. Quêtant un supplément d'admiration parmi ceux qu'il appelle à le suivre dans ses vues sans ménager leurs applaudissements, il s'admire au fond assez lui-même pour remercier Dieu, comme le Pharisien, de l'avoir fait tel qu'il est."

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.