mercredi 19 mars 2008

"Comment traverserai-je tout seul cette fête à laquelle je ne suis pas convié ?"


Alain-Fournier, gnostique :

"Je ne suis peut-être pas tout à fait un être réel". Cette confidence de Benjamin Constant, le jour où il la découvrit, Alain-Fournier en fut profondément bouleversé ; tout de suite il s'appliqua la phrase à lui-même et ils nous recommanda solennellement, je me rappelle, de ne jamais l'oublier, quand nous aurions, en son absence, à nous expliquer quelque chose de lui.

Je vois bien ce qui était dans sa pensée : "Il manque quelque chose à tout ce que je fais, pour être sérieux, évident, indiscutable. Mais aussi le plan sur lequel je circule n'est pas tout à fait le même que le vôtre ; il me permet peut-être de passer là où vous voyez un abîme : il n'y a peut-être pas pour moi la même discontinuité que pour vois entre ce monde et l'autre."


Sain apprenti-saint, naturel et robuste :


"Il faut savoir aussi combien il était sobre : matériellement d'abord (jamais il ne sembla prendre à la nourriture le moindre plaisir, il ne lui demandait que l'entretenir en vie) (...) Il n'y avait pas là l'effet d'une constitution physique fragile, ni aucune intolérance par débilité. Au contraire Fournier fut toute sa vie robuste et bien-portant. C'était son esprit tout seul dont l'aspiration était ainsi prudente et réservée, - comme s'il eût eu d'ailleurs d'autres sources où puiser, et une alimentation invisible."


Au début du siècle, il y avait déjà des étudiants assez sensés pour se moquer de la hiérarchie et du bizutage. Au XXI°, il y en a encore d'assez demeurés pour s'y plier et s'en glorifier :

"Fournier, animé de l'esprit d'indépendance qu'il devait attribuer plus tard à Meaulnes, avait entrepris d'ébranler la vénérable et stupide institution de la Cagne, c'est-à-dire l'organisation hiérarchique qui réglait les rapports des élèves de rhétorique supérieure et d'obligations humiliantes que les anciens imposaient aux "bizuths".

"Parmi ces jeunes gens, dont plusieurs étaient comme lui fils d'instituteurs, il surgissait libre, joueur, ivre de jeunesse."


Fournier fedeli d'amor :

"Le souvenir de son amour, qui, à mon avis, dans son essence, était la simple fixation d'un mal plus vague et profond dont il souffrait de naissance, revient à cet instant le traverser d'une manière tout particulièrement douloureuse. Le jour anniversaire de sa rencontre avec la jeune fille du Cours-la-Reine, il m'écrit : "Je reste tout ce jour enfermé dans ma chambre pour souffrir plus à l'aise. Depuis des semaines ceux qui me touchent la main savent que j'ai la fièvre. La fatigue même ne me fait plus dormir. La joie secrète de ces temps derniers est finie ; maintenant il faut lutter contre la douleur infernale. Comment traverserais-je tout seul cette fête à laquelle je ne suis pas convié ? "


Fournier et le Nâ-Kodjâ-Abâd :

"Le Pays sans nom, c'était le monde mystérieux dont il avait rêvé toute son enfance, c'était ce paradis sur terre, il ne savait trop où, qu'il avait vu auquel il se voulait fidèle toute sa vie, dont il n'admettait pas qu'on pût avoir l'air de suspecter la réalité, qu'il se sentait comme unique vocation de rappeler et de révéler."


Fournier écrivain débutant, qui commence Le Grand Meaulnes comme il faut commencer tous les grands romans :


"Je travaille terriblement à mon livre... Pendant quinze jours je me suis efforcé de cosntruire artificiellement ce livre comme j'avais commencé. Cela ne donnait pas grand-chose. A la fin j'ai tout plaqué et... j'ai trouvé mon chemin de Damas un beau soir.- Je me suis mis à écrire simplement, directement, comme une de mes lettres, par petits paragraphes serrés et voluptueux, une histoire assez simple qui pourrait être la mienne... Depuis ça marche tout seul."


Fournier murîd, ayant trouvé en Péguy un murshid :

"Par une grâce obtenue, Péguy va par deux fois, à pied, en pèlerinage, à Notre-Dame de Chartres. Fournier manifeste quelque regret de ne pas l'avoir suivi. Et voici la lettre profondément touchante qu'il reçoit :

"Mon petit, oui, il faut être plus que patient, il faut être abandonné."


Fournier d'avance tombé au feu et ce dernier recul : Il faut y aller, alors ?"

"Jusqu'au dernier moment il met en doute l'événement. Il n'arrive pas à croire que ce puisse être "déjà" ! Je ne sais rien de plus bouleversant que cette paresse du dernier moment qui le prit devant sa destinée."


Fournier soldat, rêvé par Jacques Rivière :

"Nous passerons par les mêmes gares où les femmes viendront accrocher des médailles bénites à nos poitrines, entre les mêmes champs où les paysans se découvriront devant nous, comme si le train était notre convoi funèbre déjà ; nous entendrons gueuler, presque par les mêmes voix, la même Marseillaise assaisonnée d'ail puisque c'est avec des Gascons que nous marcherons tous deux."

Fournier "arrivé" :

"Esprit timide et sans peur, il s'enfonça dans ce monde même qui avait toujours régné sur sa pensée et n'avait cessé d'en former l'horizon."

Miracles, suivi de "Alain-Fournier"

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.