mardi 22 avril 2008

Le vin de Bahrâm Gour


"Je bois le vin, certes, mais non au point que,
d'ivresse, le monde m'indiffère.
Si, de la main d'une houri, je vide une cuve de vin,
ma dague, d'un fleuve de sang, n'est jamais loin.
Je suis tel l'éclair quand crève le nuage :
d'une main la coupe, de l'autre le sabre.
Je bois le vin pour embellir l'assemblée ;
du sabre cependant je reste le maître.
Ce mien sommeil de lièvre était une feinte ;
le lièvre tout en dormant observait l'ennemi.
Mon rire et mon ivresse, pour tout dire,
sont rire de lion, ivresse d'éléphant.
Le lion à l'heure du rire fait couler le sang ;
qui, devant l'éléphant ivre, ne s'enfuirait ?
Le sot qui se soûle perd contrôle ;
autre est le vin de qui est avisé.
Quiconque en intelligence n'est pas dépourvu,
boit le vin mais pour autant n'est pas aviné.
Quand de boire le vin l'envie me prend,
la couronne de César je foule à mes pieds.
Quand par le vin mon esprit s'aiguise,
sur la tête de l'ennemi je déverse la lie.
Quand de vin je suis pris, de ma manche
je répands sur mes amis les trésors de Coré.
Quand mes ennemis je décide d'extirper,
je fais de leur foie des brochettes.
Qu'ont-ils à se figurer mes soi-disant alliés,
que les astres à leur office ont failli ?
Que je dorme ou sois ivre, qu'importe !
Fortune, qui pour moi veille, est à l'oeuvre.
En pareil sommeil d'ivresse où j'étais,
au Khâqân voyez comment j'ai ôté le sommeil !
En ce compte inégal où j'étais engagé,
voyez comment j'ai fait déguerpir le brigand !
Un chien, rien plus, est celui qui, d'impuissance,
pour assurer sa garde ne dort que d'un oeil.
Du dragon, même endormi, au fond de sa caverne,
le lion féroce n'ose franchir le seuil."
Nezâmi, Les sept portraits, trad. Isabelle de Gastines.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.