samedi 27 août 2011


'D'aucuns pourront observer que, tout en s'adressant à un public non strictement spécialisé, ces pages semblent trop demander au lecteur, car elles sont constellées d'exemples en au moins six langues. Mais, d'une part, je donne d'abondants exemples, justement pour que celui qui n'est pas familier d'une langue puisse vérifier dans une autre langue – et puis le lecteur pourra sauter les exemples qu'il se réussit pas à déchiffrer. D'autre part, il s'agit là d'un livre sur la traduction et donc on suppose que celui qui l'ouvre sait à quoi s'attendre.'
Dire presque la même chose : Un Umberto Eco très spirituel, très fin, et j'agrée entièrement à ses idées sur la traduction-transposition.

'Au cours de mes expériences d'auteur traduit, j'étais sans cesse déchiré entre le besoin que la version soit "fidèle" à ce que j'avais écrit et la découverte excitante de la façon dont mon texte pouvait (et même parfois devait) se transformer au moment où il était redit dans une autre langue.'

Il m'a ainsi donné envie de lire Kawa en turc – sauf que je ne sais pas le turc.

Dans L'Île du jour d'avant, les chapitres ont un titre qui suggère vaguement ce qu'il s'y produit. En réalité, je me suis amusé à donner à chacun le titre d'un livre du XVIIe siècle. Cela fut un tour de force, très peu rentable, car le jeu n'a été compris que par les spécialistes de cette période (et encore, pas par tous), et surtout par des libraires antiquaires et bibliophiles. Moi, cela me suffisait et j'étais content malgré tout : parfois, je me demande si je n'écris pas des romans uniquement pour me permettre ces références compréhensibles de moi seul, mais je me sens comme un peintre qui représenterait un tissu damassé et qui, entre les volutes, les fleurs et les corymbes, tracerait – presque invisibles – les initiales de son aimée. Peu importe si même elle ne les identifie pas, les actes d'amour sont gratuits.

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Rien ne m'énerve plus que les imbéciles qui m'écrivent, personnellement ou via l'Institut, pour avoir des renseignements sur 'l'Est de la Turquie' ou le 'nord de l'Irak'. Dans la muflerie ou la stupidité contre-productive, que fait-on de mieux ? En ce qui me concerne, si j'avais quelque chose à demander à un Israélien, je n'irais pas lui dire : "Vous qui vivez en Palestine occupée, pouvez-vous m'aider…". Stupidity, however, is not necessarily an inherent trait

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Salade aux  lardons, œufs pochés, vinaigre de goyave.


Dans la série 'musée des horreurs, j'ai toujours pensé que les plats de Bernard Palissy étaient, disons, assez moches. En fait, en y regardant de plus près, c'est franchement immonde. On pourrait appeler ça 'service de table Gollum', ça le mettrait sûrement en appétit.  :



lundi 8 août 2011

tout compte fait, ils le punissaient d'y voir


Je re-relis la Correspondance de Léautaud. Toujours séduite par ce style incroyable, cette tenue et, en même temps, ce naturel. Il écrit comme on fait la conversation. Ce quelque chose de 'très français'. Banal de dire ça, mais c'est vrai. Il y avait un art, un genre de la correspondance – avant le téléphone, on écrivait pour un oui, pour un non –  que les mails font revenir, peut-être.
Je suis d'avis que Léautaud a une des meilleures plumes françaises. Et ses saillies à mourir de rire, si fines, qui font mouche :

""Une revue faite en dehors de tout intérêt", disait-il. Je me suis retenu pour ne pas le complimenter sur cette si juste appréciation."
"Vous continuez aussi à n'avoir pas de chance. Cela tourne à la vocation." 
"Les actrices se croient généralement obligées, dès qu'elles jouent des personnages antiques ou mythologiques, de prendre des poses plastiques, hiératiques, de psalmodier comme des prêtresses. Elles veulent jouer aux vases grecs, et font les cruches."
"On m'a rapporté - ce n'est pas l'intéressé - que lors de la rupture, elle lui écrivit pour le consoler et lui remontrer qu'après tout il n'était pas à plaindre, ayant joui du "joli jardin de sa chair". Joli, si on veut, mais jardin, quand on la connaît ?... Une plate-bande, tout au plus."

J'aime aussi la démesure et l'acharnement qu'il met – on devait le trouver collant, casse-couilles, grossier – à sauver chiens et chats de la si admirable gentillesse humaine, à sermonner tout le monde pour les colliers avec adresse, et les propriétaires qui se débarrassent d'un chat ou d'un chien pour un plus jeune, et les indifférents de la vivisection, etc., tout en étalant le mépris que l'humanité lui inspire, ce qu'on lui a pas mal reproché, et il renchérissait, narquois :

"Il ne fait pas bon de montrer de l'intérêt aux bêtes, en ce moment. On vous regarde presque aussitôt de travers. "Mais les gens, Monsieur ! les enfants, Monsieur !" Oh! les gens, les enfants ! Je sais ce que sont les premiers pour la plupart, et par eux ce que seront les seconds."

À cette Humanité si pénétrée de ses propres qualités, il renvoie à la face le malheur des bêtes. Pas la peine d'aller chercher très loin les bourreaux : famille sans histoire qui jette à la rue un barbet pour acquérir un épagneul, concierge qui piège les chats pour les noyer, ouvriers typographes qui brûlent vif des rats, jusqu'à ce conducteur de trolley-bus, qui ne 'pense pas' à couvrir de la bâche prévue pour cela, ses chevaux, un jour de pluie battante. La banale humanité des bourreaux : indifférence ou gros rire amusé, que ce soit pour écrabouiller son prochain ou frapper un griffon. On aimerait que le Christ ait dit "ce que vous ferez à un de ces petits – et aux bêtes aussi – c'est à moi que vous le ferez."

Et donc, oui, j'aime la 'misanthropie' de Léautaud, qui passe deux guerres en haussant les épaules sur la connerie des hommes et ne se soucie que du ravitaillement de sa ménagerie.
"J'ai pour les bêtes, toutes les bêtes, un coeur de concierge, et de vieille concierge. Si j'avais l'habitude des phrases poétiques, je dirais que je me sens le frère de ces vieilles femmes à cabas qui portent le soir à manger, aux grilles des jardins publics, aux chats sans patrons. Je ne donne jamais un centime aux pauvres, le spectacle des gens écrasés m'est indifférent, les gens qui pleurent aux enterrements me semblent très laids, et quand ma chère bien-aimée est malade, je vais me promener. Mais mon chat est le maître chez moi, mes fenêtres sont pleines de pain pour les oiseaux, je pars chaque matin avec des provisions de pain que je distribue à tous les moineaux de ma route, je donne du sucre aux chevaux de fiacre dont la misère finira par m'empêcher de sortir, j'achète de la viande aux chiens perdus que je rencontre, et si je m'écoutais, et si je le pouvais, ma maison serait pleine de bêtes, au lieu que j'y sois seul, car vous pouvez vous en douter, vous, un de ses oncles ! est bigrement loin d'être une bête. Que de cochers de fiacres j'ai dans mes relations, pour bavarder de temps en temps avec eux, et que de bonnes bêtes, dans mon quartier, qui me connaissent."

"Vous me jugez ridicule ? Moi, je vous trouve ignobles !" Le misanthrope renvoie toujours à la face du 'brave homme' l'horreur de sa bonté sélective celle qui fait le tri. 

"... Mme Angèle m'a raconté qu'un aveugle à canne blanche, dans les couloirs du métro, faisait peine aux passants qui lui cédaient le pas et le regardaient avec tristesse. Soudain on le surprend qui, lunettes relevées, déchiffre un plan sur un mur. Ce n'était qu'un myope un peu poseur. Ceux qui le plaignaient, qui l'aidaient, se précipitent sur lui, le giflent, le houspillent. En somme, et tout compte fait, ils le punissaient d'y voir..."

samedi 6 août 2011


Je lis Sei Shonegon assidûment. Quel charme dans tout cela, et comme elle a raison de détailler, avec tant de minutie et d'intérêt, les mille petites choses du monde, les détails du décor et non les grandes lignes de sa vie ! Car, après tout, dans un journal, qu'est-ce qui compte ? le tumulte du cœur, les mouvements, l'avancée, la traversée, le recul, la joie, les lamentations, ou bien la couleur qu'avait le ciel à ce moment-là, ou celle d'un mur, ou les petits ceci et cela qui restent en mémoire bien plus que la 'grande' histoire ? Vivre dans l'être, là où je suis ; j'ai toujours été très peu douée pour ça.





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Tarte sablée crème d'amande au mascarpone et gelée de mûre aux airelles, nappage chantilly et macarons.





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"Le plus favorable moment, pour parler de l'été qui vient, c'est quand la neige tombe."

Tirée de L'Opéra du monde, d'Audiberti, cette phrase me fait sourire, car elle fait très Sei Shonagon. Comme un pastiche plaisant dans l'absurde. Je l'imagine énonçant très sentencieusement, après avoir détaillé l'effet des manteaux de dessus couleur de prunier et des pantalons à lacets blancs sur la neige, ce genre de conclusion : 
"L'été, nous ne l'apercevons bien qu'à travers la neige."

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L'Œuvre de Dieu la part du Diable, très mignon (le film). De toute façon, j'ai toujours adoré Michael Caine. Sinon, Tobey Maguire est le jumeau de Frodo Baggins, enfin d'Elijah Wood.

J'ai commandé, sur une impulsion, une parure stylo-plume et bille dans un plumier, de stylos Samara. Je ne sais pourquoi. Peut-être à cause de la couleur blanc uni, ou du nom, Samara, qui m'évoque à la fois le Japon et aussi le palais des califes.

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Un tag gare de l'Est : 'Je suis venu, j'ai vu, j'ai vincu'. Il y a une semaine, quelqu'un était venu sur le blog en tapant 'il a vencu', que j'avais transformé instantanément en : 'Tu as vencu, Galiléen'. Je corrige, au temps pour moi :  'Tu as vincu, Galiléen.'


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Edelmann, sonate 1 op. 2, pour clavecin, 1er mouvement : à la fin, bref changement de tonalité (laquelle ? impossible de mettre la main sur une partition en ligne, et pourquoi ne met-on jamais dans les CD les partitions, au lieu de nous coller la vie captivante du premier violon en 6 langues ?) : glissement dans une tendresse plaintive et gracieuse, qui rappelle J.S. Bach.

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La lecture du Thomas d'Aquin de Chenu m'a rendue plus amène envers ce philosophe, dont le côté mécanique systémique aristotélicien me faisait bâiller. Cela dit, lire des choses comme : 'La vie vertueuse, c'est l'empire de la raison',tu parles que ça donne envie… 

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.