lundi 31 octobre 2011

C'est mieux que ce qu'on attendait et c'est aussi, d'une autre manière, exactement ce qu'on attendait


Nicolas Bouvier a peut-être trouvé là une bonne règle pour détecter le mal, ou une bonne boussole : l'ennui, la répétition. Admettons qu'il y ait bonheur dans le crime, ce ne sera pas long, car il n'y aura jamais rien de neuf :

L'invention dans le bien dispose d'un éventail beaucoup plus large que l'invention dans le mal – voir l'insupportable monotonie de Sade (son côté prévisible), l'Histoire d'O qui ne parvient pas à rebondir, le côté scolaire et pion des grands malfaiteurs, sacrilèges, Gilles de Rais, etc., gens si laborieux dans leurs vilenies. Lorsqu'on a violé une femme – nonne ou vestale de préférence – de toutes les façons possibles, ou célébré par dérision une messe sur l'étal d'un boucher devant des abatis de porc, que peut-on bien faire de plus ? On peut toujours encore brûler un feu rouge.

Et d'opposer à Sade ou Gilles de Rais les 'Attar ou Rûmî ("qui était turc" autant que moi, mais peu importe). Ainsi, peut-on distinguer le blasphème (mécanique, aux ficelles usées, prévisible), de l'irrévérence dansante des derviches, ou du koan zen, tout en invention, paradoxes jaillissant en étincelles pour la pensée, 

"Jetez par contre un coup d'œil aux "questions et réponses" de mystiques iraniens comme Attar le Parfumeur ou Djalâl al-Dîn Rûmî – qui était turc –, on est partagé entre la surprise émerveillée et un sentiment de connivence profonde ; cela touche au centre de vous-même le mille d'une cible dont on ignorait l'existence. C'est mieux que ce qu'on attendait et c'est aussi, d'une autre manière, exactement ce qu'on attendait. Prenez encore ces apologues et ces anecdotes qui fourmillent dans la patristique, dans l'histoire de la Thébaïde, dans celle des mystiques grecs des premiers siècles avant le schisme : on les touche et cela résonne interminablement."
Pour un voyageur, c'est sans doute une vaccination, une allergie contre le mal : la monotonie, plus forte que tous les impératifs moraux. Cette capacité à émerveiller toujours, voilà le contraire du mal. Ce qui donne un indice pour vérifier, à chaque fois, que la vertu n'a pas tourné à l'aigre (il en faut toujours de peu) : le bien que j'aime ou que je fais, est-il toujours étonnant, saisissant, surprenant, vivifiant ? M'en apprend-il sur moi-même tout en me comblant ? "C'est mieux que ce qu'on attendait et c'est aussi, d'une autre manière, exactement ce qu'on attendait" ; comme l'amour, en somme

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.