mercredi 6 février 2008

"ces jeunes plus agiles que des singes..."

"Il se souvient que dans son enfance il avait lu un conte dont il a aujourd'hui oublié le titre et le nom de l'auteur. Ce conte racontait cette histoire : Dans un royaume, tous les habitants portaient sur la poitrine un miroir où apparaissaient à la vue de tous toute mauvaise idée qu'ils nourrissaient en eux. Ainsi, personne n'entretenait la moindre tromperie, sinon on n'aurait plus osé se montrer, ou on risquait d'être chassé de ce pays qui était désormais devenu un pays de gentilshommes. Lorsque ce héros du livre entra dans ce royaume de la pureté extrême - peut-être était-il entré par erreur, il ne se rappelait plus très bien -, un miroir fut aussi posé sur sa poitrine, qui exposait au vu et au su de tous tout ce qu'il avait en lui, et cela le plongea dans la plus extrême stupeur. Ce qui était arrivé à ce héros, il ne s'en souvenait plus, mais ce conte, tout en l'étonnant, l'avait mis mal à l'aise. Bien qu'il ne fût alors qu'un enfant qui n'avait pas vraiment de mauvaise idée, il n'avait pu s'empêcher d'avoir un peu peur, sans trop savoir de quoi exactement. Cette impression s'était estompée quand il était devenu adulte, il avait quand même espéré devenir un homme nouveau et vivre en paix avec sa conscience, pour dormir sans faire de cauchemars."

"D'une ville à l'autre, d'un pays à l'autre, dans des lieux plus changeants encore que ceux où nichent les oiseaux migrateurs, tu profites de ces instants de bonheur furtifs, tu voles tant que tu peux, tu ne tomberas que si ton coeur te lâche, tu es enfin un oiseau libre, tu recherches ton bonheur en volant, plus besoin de te tourmenter."

"Quand ils arrivèrent au ministère, le bâtiment était tout entier transformé en centre d'accueil des étudiants de province. Depuis le hall d'entrée jusqu'au couloir des étages, les bureaux avaient été vidés. Partout s'entassaient de la paille, des nattes, des tapis de coton, des nappes de plastique, des couvertures en vrac ; le sol était jonché de jarres émaillées, de bols, de baguettes, de cuillères, une odeur aigre de transpiration flottait, mélangée à l'odeur des navets en saumure et des chaussettes sales. Les lycéens faisaient du tapage, mais n'ayant aucun endroit où passer ces nuits d'hiver au froid vif, ils s'étendaient sur le sol, exténués, et s'endormaient. Ils attendaient que le dirigeant suprême les passe en revue, soit le lendemain soit le surlendemain, pour la septième ou la huitième fois. Chaque fois, plus de deux millions de personnes commençaient à se rassembler au milieu de la nuit, d'abord place Tian'anmen, puis la file s'étirait vers l'est et vers l'ouest, des deux côtés de l'avenue Chang'an, sur plus de dix kilomètres. Le dirigeant suprême, accompagné du vice-commandant en chef Lin Biao brandissant à la main le précieux Petit Livre rouge, passait à bord d'une jeep décapotée entre deux murs humains constitués de jeunes gens figés en rangs serrés ; ces jeunes, le visage baigné de larmes, agitaient le précieux Petit Livre rouge et s'arrachaient la gorge à hurler à tue-tête des "Vive le président Mao". Ensuite, pleins de rage et d'excitation révolutionnaires, ils allaient saccager des écoles et des temples, attaquer des unités de travail, afin de réduire en cendres le vieux monde."

Le livre d'un homme seul, Gao Xingjian.




Cela me fait penser à cette scène qui, à l'époque avait été célébrée comme le courage aux mains nues face à l'oppression mécanisée. Qui avait-il à l'intérieur du véhicule ? Un soldat. Devant lui, un étudiant, un ouvrier, peu importe, un héros prêt à mourir, pur et déterminé en cet instant. De ces héros dont on fait des emblèmes ensuite. Mais aujourd'hui, je me dis que celui qui donne le plus de beauté et d'humanité à cette scène reste tout de même celui qui est dans le char et qui a refusé d'avancer.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.