mercredi 27 août 2008

La connaissance "orientale"


Du monde imaginal que Sohrawardî appelle 'alâm al-mithâl puisque chez lui, barzakh signifie autre chose :

"La connaissance du monde imaginal, c'est-à-dire de l'Orient moyen, est, elle aussi, une "connaissance orientale", tandis que la perception sensible et la fantaisie sécrétant de l'"imaginaire" sont des connaissances "occidentales".

Ce monde imaginal assume une fonction imprescriptible. C'est lui qui nous délivre du dilemme si courant de nos jours, lorsque, à propos de faits spirituels, certains se demandent : mythe ou histoire ? Les événements de l'Orient moyen ne sont ni l'un ni l'autre. Ce monde est le lieu d'événements propres. C'est en Orient moyen ou "huitième climat" que font éclosion les Révélations données aux prophètes, que s'accomplissent les événements de la hiéro-histoire, les faits racontés dans les récits visionnaires, les manifestations du Xvarnah ou Lumière-de-Gloire, et que s'accomplit enfin l'événement de la Résurrection (qiyâmat), prélude aux palingénésies futures."

Surgissement assez drôle d'une "obligation inattendue" pour les modernes "orientalistes" :

"Il y a ainsi une succession d'Orients auxquels, en se relevant de son exil occidental, l'être humain "se lève", d'un monde à l'autre, en une "ascension hiératique" de matins et d'illuminations. C'est cela l'istishrâq, littéralement la "quête de l'Orient". Le mostashriq, c'est le pèlerin mystique, "à la quête de l'Orient" (il y a un certain humour dans le fait que la langue moderne désigne par ce même mot les savants orientalistes ; le vocabulaire ishraqî risque de mettre ces derniers devant des obligations inattendues)."

Quand "Aristote" s'en mêle, convoque le murîd dans le monde imaginal, comme Dumbledore retrouve Harry à King Cross Station (Of course, it is happening inside your head, Harry, but why on earth should that mean that it is not real ?), faisant un sort définitif aux "Aristotéliciens" :

"Antérieurement à son grand livre, Sohrawardî donne déjà une description de la connaissance "orientale" dans son "Livre des Elucidations", et il le fait sous forme de récit d'un songe, ou plus exactement d'un entretien visionnaire advenu dans l'état intermédiaire entre la veille et le sommeil. Il était alors, nous dit-il, obsédé par le problème de la Connaissance ; il s'adonnait sans relâche à la méditation de ce problème et restait accablé par les difficultés, sans entrevoir de solution. Mais voici que certaine nuit, il se sent comme enveloppé d'une grande allégresse, d'une lumière resplendissante, et il voit se préciser progressivement devant lui une silhouette humaine. Il l'observe attentivement, et bientôt il reconnaît Primus Magister Aristote sous une forme dont la beauté l'émerveille. Il fera allusion dans un autre de ses livres à cet entretien, pour préciser qu'il se passa à Jâbarsa, c'est-à-dire dans l'une des cités de l'Orient moyen, du "huitième climat", le monde imaginal auquel nous faisions allusion ci-dessus et dont cet exemple suffirait déjà à montrer que le schéma des mondes ne peut s'en passer.

Y a-t-il un trait d'humour dans le langage platonicien que tient Aristote ? Ou bien n'est-ce pas simplement la trace de la conviction où l'on était que l'auteur de la Théologie (en fait un remaniement des oeuvres de Plotin) avait toujours été ésotériquement platonicien, et que seuls ses successeurs étaient responsables du péripatétisme ? A la fin d el'entretien, Sohrawardî demande à Aristote si les philosophes de l'islam (Fârabî et Avicenne) se sont rapprochés du rang de Platon. Mais Aristote de réponde : "Pas d'un degré sur mille !" Alors Sohrawardî reporte sa pensée sur Abû Yazîd Bastamî et Sahl Tostarî, deux maîtres du soufisme dont les noms ont figurés précédemment ici dans la généalogie des Ishrâqiyûn, Bastamî transmettant le levain des Khosrawânîyûn, Tostarî transmettant le levain des Pythagoriciens. Aristote lit dans la pensée du visionnaire et lui déclare, heureux et approbatif : "Oui, ceux-là sont les philosophes et les théosophes au sens vrai (al-falâsifa wa'l-hokamâ haqqan). Ils ne se sont pas contentés de la connaissance ordinaire. Ils l'ont dépassée, pour atteindre à la Connaissance présentielle, unitive. Ils ont pris leur point de départ là où nous-même avions pris le nôtre, et ils ont énoncé ce que nous avons nous-même énoncé. - Là-dessus, poursuit l'auteur, le Sage me quitta et me laissa pleurant sur notre séparation. Ah ! deuil et pleurs sur cette condition misérable."

Henry Corbin, En Islam iranien, t. II, Sohrawardî et les Platoniciens de Perse, II, La théosophie orientale, 1, "La connaissance orientale".

Avant de partir, le Magister Primus lui donne cette ultime directive, c'est-à-dire la bonne orientation : "Reviens à toi-même et la difficulté se résoudra pour toi."

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.